Résidence virtuelle 4: Stéphanie Ferrat (1er juillet au 30 septembre 2018)

aux éditions du frau: Amas ouverts (n°1, collection ordinaire)

                                                                                                                               Pensée brûlée idem (texte de Rodrigue Marques de Souza) (n° 19, collection ordinaire)


Remonter le chemin vers l’atelier, dans la main des oiseaux sans couleur. Une épaisseur d’oiseaux. De cette transparence, faire une présence.

 

 

Il se passe parfois des matins, sans que rien n’émerge, à peine un geste. A peine foncer une zone. Et il faudra pour le jour, se nourrir de cela.

 

 

Entendu à la radio : « Pourquoi au début des choses, y a-t-il toujours de la lumière ? »

 

 

Les oiseaux : remettre les corps dans leur place d’air, de subtiles limites ; pour tenter de donner, bien plus qu’un volume, une apparition.

Dans le creux de ces oiseaux là, déposer le doute.

Laisser les papiers libres, accrocher simplement avec deux épingles au mur afin que les oiseaux volent encore un peu.

 

 

Qu’est ce qui s’arrête dans l’œil et à quel moment ?

Quelque chose tient mais quoi ?

Pas seulement l’équilibre, ou alors un équilibre à peine déséquilibré.

 

 

Affoler le regard, le tenir en éveil pour qu’il transperce, saisisse. Un regard d’oiseau vif.

 

 

Dans l’évier, dans l’eau des pinceaux, un lézard vient boire. Sa robe plus ocre que le vert habituel. Je l’appelle « lézarde » car pour moi c’est une femelle, sans doute à cause de son ventre épais. Nous nous connaissons, elle ne fuit plus. Je l’ai aidée à remonter les bords de l’évier l’autre jour, elle s’est laissée faire. Penser à lui laisser un abreuvoir : un bouchon de bouteille.


Les lignes des géographies sont en avant de l’œil. Dessinées bien avant la main, presque invisibles et pourtant un relief affleure au regard, l’appel d’un chemin.

Même exercice, même trajet que pour se rendre à la pensée des bêtes.

 

Place blanche, le dos de ces cartes de géographie sur lesquelles des territoires devront apparaître, traverser la toile. Comme toujours, se demander où ils naissent ? Et pourquoi tout est si lent ? Comment quelque chose peut advenir de tant d’air percé ?

Je cherche pour les oiseaux, un corps de présence.

Qui, des oiseaux naturalisés ou des papiers porte le plus la trace du vivant ? Les oiseaux naturalisés ont l’habit du vivant sans la vibration ; alors que les papiers tremblent mais n’ont pas de volume.

Sans doute la force d’un corps, même vidé, reste.

 

 

La couleur des oiseaux importe peu, seul compte cette part d’invisible du vivant, comme en poésie, ce qu’il y a derrière les mots, ce qui frémit.

 

 

Au détour d’un livre, trouvé cet ancien proverbe chinois : « Un oiseau ne chante pas parce qu’il a une réponse, il chante parce qu’il a une chanson. »

La peinture est un paysage. On y avance pareillement, les yeux écarquillés de voir apparaître des volumes, des plaines, tout ce qui vibre discrètement. Quand la tête accompagne, c’est une plongée où on ne sait plus l’heure ni le jour. Par l’entonnoir du regard, le corps tout entier dans l’espace. Tout est concentré là, vif et calme.

Les oiseaux sont à côté du silence.

A côté des oiseaux, ces formes dont on ne sait le sens, à moins qu’elles accompagnent l’absence.

Ce sont des formes granuleuses à côté des oiseaux endormis.

Granuleuses pour retenir ce qu’il reste d’eux, le contour de leur corps.

 

Croisé plusieurs fois dans l’évier ce lézard, différent. Couleur plus claire proche de ce pigment nommé « terre pourrie ».

 

 

Hier soir en m’endormant, j’ai pensé à ces deux petites toiles oubliées dehors. Adossées à l’atelier, je les avais mises à sécher, puis oubliées en partant. Au bord du sommeil, cette image de ces deux petites toiles dans l’herbe m’a ravie, ou confortée. Pour la simplicité des choses, pour la confusion des espaces, pour le vivant logé dans l’oubli.

 

 

L’air ce matin a basculé dans septembre. Pourtant rien ne se rapprochant de la fraîcheur, juste une matière différente. Une épaisseur et moins de blancheur. Se laisser glisser dans cette fin d’été, sans rien chercher à obtenir. Errance et temps vidé de ses mains.

 

 

Aujourd’hui, terminer les grands oiseaux. Vautour fauve, spatule blanche… Au-delà de leur forme, leur couleur, sans doute est-ce leur âme que je cherche à faire apparaître. Car ils en ont une sûrement, d’une nature propre et qui porte un autre nom.


C’est une saison sans personne. Les pluies ont éloigné les bêtes, les ont gardées chez elles, loin de nos folies.

Pas un chevreuil n’est venu boire dans la gamelle rouge à côté de l’atelier, pas un sanglier n’a soulevé un tas.


Ce sont de vieux oiseaux. Ces couleurs, les matières qui les traversent, sont peut-être ce qu’il reste de leur présence ou de leur chant.

 

 

La matinée se prolonge dans deux sortes de mains.

Toutes les deux tracent des cercles.

 

 

Les territoires s’explorent et se terminent.

Des oiseaux dorment sous mes mains. Quelque chose s’échappe d’eux, se pose juste à côté de leur ombre.

L’atelier s’adoucit avec la lumière de septembre.

 

Tout est dedans.