Résidence virtuelle 3: François Coudray et Érick Mengual (du 1er avril au 30 juin 2018)

aux éditions du frau: "L'herbe noire" (n°29, collection ordinaire) de François Coudray (peintures de Jean-Michel Marchetti)

François Coudray est poète. Érick Mengual est photographe. Leurs mots et leurs images se font échos et se tissent depuis plusieurs années sous différentes formes : livre, installations, performances... et ce nouvel espace que leur ouvre aujourd'hui les éditions du frau.

 

François Coudray, originaire des Alpes, vit aujourd'hui dans la "ville folle" de Manille, au cœur de l'archipel philippin. Erick Mengual habite Bourges, dans la "vaste plaine" du Berry. Et c'est le frau, arpenté par Odile Fix, sur les "pentes sauvages" du Cantal, qui leur offre le lieu de ce nouveau voyage.

 

D'une île l'autre, d'un frau l'autre, d'un jardin l'autre, ils se proposent ici de faire dialoguer à nouveau mots et images, dans la lumière des saisons, par-delà les océans.


29 juin, Berry

 

 

on marcherait sur cette terre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 21, Manille -Philippines

 

 

 



28 juin, Île d'Oléron (côté océan) - Charente Maritime

on marcherait encore

 

face au Mont-Blanc comme on va à la mer

 

JOUR 20, Manille - Philippines



J'écrivais noir (un chemin d'absence, et la vibration du petit jour) et tu m'offres du bleu (la force et la douceur d'une marine, un paysage comme abstrait, un instant nu : le grain, la couleur, chant sourd, profond, comme une lame).

 

Du dialogue de tes images et de mes mots n'y a-t-il finalement rien d'autre que la recherche de cette lumière, fuyante, de passage?

 

NOTE EN CHEMIN (11)

en regardant ton image du 23 juin

Offrir tout ce bleu à l'un de mes poèmes de cendre. Lui inventer ainsi une nouvelle respiration. Un peu plus de lumière encore. Et de douceur.

 

Et offrir en retour un peu d'ombre à tant de bleu. Cette déchirure au creux de la lumière. Qui creuse la douceur.

 

 

NOTE EN CHEMIN (12)



la terre est chaude

contre laquelle tu ne dormiras plus

 

et cendre

sur ma joue

la cicatrice des herbes

 

*

 

au ciel fous

les nuages de nos jeux d'enfants

 

à l'ombre de la montagne grande

et c'est lumière encore

 

JOUR 19, Manille - Philippines


23 juin, Île d'Oléron (côté Atlantique) - Charente Maritime


 s'échapper ?

 

on est bien là, à l’ombre, et cette odeur de terre des maisons trop longtemps fermées

 

on est là là-bas aussi, cela n’empêche pas, dans le chant sourd et grouillant du soleil sous le platane, et cet autre grouillement, dans l’humus humide, sous la haie - les herbes marquent nos corps, s’effacent, et la lumière

 

on échappe à quoi ?

 

JOUR 18, Tokyo - Japon

14 juin, ancien Hôpital Bretonneau - Touraine

série "paysage brisé"


Ecrire ici des textes que tes images appellent et répondre à l’appel d’autres textes.

 

Travailler ici ce texte que je sais être part d’un autre chemin (d’un autre projet). Et sentir et savoir ce travail nourri par l’ici de son écriture (et la perspective de cette première publication).

 

Sentir, dans cet espace où les mots se cherchent et se tissent, apparaître par bribes (éclats, lumière) le paysage du frau et ton image à venir.

 

 

NOTE EN CHEMIN (9)

en écrivant mon poème JOUR 16

Ton image, encore inconnue, est comme déjà là. Elle habite le creux de certains de ces mots qui tissent mon poème.

 

 

 

 

 

 

 

 

NOTE EN CHEMIN (10)

en regardant ton image à venir…



habiter cette nuit tissée de tant

d’autres (j’invente de mots une nuit où vivre encore)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 17, Manille - Philippines

12 juin, Noirmoutier - Vendée



je n’attendrai plus la nuit

sur les branches hautes du chêne

face à la maison, ombres tremblent

nos peurs d’enfants

 

contre la montagne, paume vide (il commence à faire froid)

 

et la terre monte avec la nuit, odeurs de mousses, d’écorce, de sève, feuilles, feuilles mortes, herbes humides, goudron mouillé – une voiture passe, lumière fuyante des phares dans le virage, et la lueur vacillante du réverbère

 

 

JOUR 16, Manille - Philippines

12 juin, Neuilly en Sancerre - Cher



3 juin, La Bussière - Cher

 

nous n’en avons pas fini avec les lichens

 

ni peindre ton visage de sang pour lui redonner vie

 

et toute la nature

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 15,  Manille - Philippines 



sensations, souvenirs, cela qui fuit, nous échappe, tant de blessures, de douceur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 14, Shanghai - Chine

1er juin, Plaimpied - Cher



Souvent tes images évoquent des lieux que j’ai connus et aimés, arpentés et écrits, parfois avec toi. Et pourtant tes images m’emmènent ailleurs.

 

Vers un paysage d’être qui est le tien. Aujourd’hui. Nourri à des sources communes.

 

 

 

 NOTE EN CHEMIN (7)

en regardant ton image du 13 mai

Laisser ton image résonner en moi, y faire vibrer la corde qui éveillera un chant. Et la chair de ses harmoniques. Car l’écriture n’a que nos corps. Sensations, souvenirs, cela qui fuit, nous échappe, tant de blessures, de douceur…

 

Le paysage d’être qui est le mien. Aujourd’hui. En échos du tien.

 

 

NOTE EN CHEMIN (8)

en regardant ton image du 13 mai et celle du 23 mai



le souvenir de cette terre

 

qui s’éveille

 

à l’ombre des grands arbres

 

respire

 

le corps comme la pierre

 

gagné par la chaleur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 JOUR 13, Manille - Philippines

23 mai, Noirlac - Cher



 13 mai, abbaye de Noirlac - Cher

 

la lumière fuit

 

danse immobile

 

quoi sourd en moi ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 12, Manille - Philippines



 

ta main

respire avec la roche

rit et nous mord

merveilleusement

  

ta main

chair 

pierre

terre 

cendre

 

 

 JOUR 11, Nara / Kyoto / Hakone - Japon

9 mai, La Borne - Cher



marcher seul aux lisières du jour

 

chercher les mots creuser la pierre l’écorce

 

verts sanguins, gris d’autre ciel

 

lichens comme portes

 

cette faille de peu où se laisser gifler par le vent, saigner par la lumière

 

apprendre à desserrer l’étreinte

 

laisser respirer ton absence

JOUR 10,  Koyasan / Nara / Kyoto - Japon

 

9 mai, La Borne - Cher



5 mai, campagne berrichonne

 

ciel

 

ciel

 

ciel

 

un cri

 

une prière

 

les paumes ouvertes à la coupure des herbes

  

JOUR 9, Manille - Philippines / Koyasan - Japon 



29 avril, Saint Michel de Volangis - Cher 

 

n'écrire rien d’autre que

les labours

les chaumes

l’herbe grasse

 

et la caresse qui donne au ciel immense sur la plaine

le grain de cette terre

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 8,  Manille - Philippines



Ne pas répondre. Laisser parler ce qui, de mes mots tes images, se fait écho, s’absente, se déplace. Faille bruissante…

 

Laisser ce jeu se jouer.

 

NOTE EN CHEMIN (5)

 

en regardant ton image du 22 avril

Ton image est si construite (comme un savant et savoureux clin d’œil aux jardins de Fra Angelico) que je ne sais plus où y fuir, y creuser cet arrière-pays qu’elle nous offre pourtant (comme ce peu de terre au creux de la main). Entendre ce lieu de ton image où la chair tremble, révèle sa fragilité. Habiter cette déchirure.

 

NOTE EN CHEMIN (6)

 

en regardant ton image du 29 avril



22 avril, Rennes - Ille et Vilaine

redescendre

 

dalle bitume gravats

sourd spirale fuit le

bourdonnement de la ville

et mon corps

gravats poussière

 

écoute

comme en lisière

 

frémir les herbes

les feuilles

 

battre la terre

mon sang

 

*

 

être cette statue que la chaleur irrigue

qui saigne

 

et puis s’endort

JOUR 6, Manille - Philippines / Siem Reap - Cambodge



Écrire… publier, diffuser : trois activités nécessaires et complémentaires (le poème n’existe que parce qu’il est lu, qu’un autre s’en saisit et en fait l’expérience -  et le bonheur de ces échanges).

 

 

Où le poète pourtant parfois se perd.

NOTE EN CHEMIN (3)

Répondre alors au seul appel du poème…

 

 

 

 

 

NOTE EN CHEMIN (4)



 

dans le chant des oiseaux (comme ce pépiement m'emplit)

 

la lumière sur ma peau qui dit le départ en montagne (qui n'existe pourtant qu'en ce lieu de mon corps)

 

dans ce chant sans nom

 

sans autre horizon que de vivre

 

tenter de retrouver la terre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 5, Manille - Philippines

 

14 avril, abbaye de Noirlac - Cher




  

 

11 avril, Humbligny - Cher

dans la ville sans ombre

les décombres d'un ciel de fer, de verre, de poussière, de béton

 

chaque arbre est un jardin

éclatant de voix

 

les oiseaux meurent là-bas à l'enclos de l'enfance

ils rient ici au monde qui s'écroule

 

et les racines creusent

loin sous le bitume la terre la lumière

 

résonnent de ce chant

qui me traverse, ruisselle en moi

 

on n'a pas quitté cette terre

il y a encore des oiseaux à l'enclos de l'enfance

JOUR 4, Manille - Philippines



Rien ne peut faire que le temps du poème ne soit le temps de vivre.

 

Mes poèmes prennent ici la parole dans le souffle de notre dialogue. Certains d’entre eux continuent cependant de travailler en moi.

 

Les y laisser fuir, revenir, chercher, trouver enfin leur respiration. Les reprendre. Et partager ici la nouvelle étape du poème en chemin.

 

J’ai ainsi repris aujourd’hui le dernier vers de mon premier poème. Et quelques autres mots en échos.

 

Résidence « virtuelle » ? Encre mobile…

NOTE EN  CHEMIN (1)

Rien ne peut faire que le temps du poème ne soit le temps de vivre.

 

Ainsi se mêleront nécessairement aux poèmes qui dialoguent ici avec les images, quelques échos de mon enfant de la falaise, que je lirai dans deux jours à Manille. Quelques échos aussi de cet autre texte qui m’occupe et chemine en moi, vers la montagne encore…

 

Ainsi l’espace de notre rencontre se mêlera-t-il aussi sans doute à nos mots, nos images, ce frau que nous arpentons ainsi d’autres manières.

 

Textes - tissages de ces fils qui tendent nos vies…

 

NOTE EN CHEMIN (2)



il y a quinze ans, dans cette campagne qu’appelle ton image et où je vivais alors, j’ai écrit ce poème…

 

les arbres au loin ne sont plus (c’est dans la lumière soudaine du soir, surgi comme un îlot au milieu de la bourbe

 

ils sont les barreaux-traverse du temps      du vert tenace d’un très vieil enfant

 

autrefois en retour le même vert (la même couleur d’âge)      lichens-éphélides rongeant la dune      la lande contre la mer

 

 

ne plus attendre

 

 

 

comme si déjà mes mots appelaient tes images

JOUR 3, Sagada / Manille - Philippines

 

 

 

4 avril, Forêt d'Allogny - Cher



à tes arbres en marche dans l’hiver des Vèves

les karsts de Sagada

 

la même préhistoire

celle d’une enfance perdue

sans cesse à réinventer

 

le même chemin de vivre

le long d’un muret de pierres sèches, sur l’asphalte mouillé, fossés gorgés d’hiver, la terre lourde et froide

la même pierre sèche, dans la touffeur des rizières suspendues, au pied de la falaise

 

la même déchirure

et la même douceur

 

le même chant

fragile

et qui nous donne à vivre

de la terre

plein la bouche

JOUR 2, Sagada - Philippines

 

 

 3 avril, Neuvy deux clochers - Cher



 

 

 

 

 1er avril, La Bussière - Cher 

aux à tes arbres en marche dans l’hiver des Vèves (j’invente, et n’en suis pas moins vrai)

les karsts de Sagada

 

*

 

arbres en marche

dans la campagne veinée d’hiver

on traverse ce gris, ce vert, y respire la terre,

les paumes et tout le corps embrassent cette eau au goût de terre (comme grains sur la peau, au creux de moi), cette lumière

dont elle est la promesse, et se nourrit

 

ici les brumes rampent entre les roches et les pins du vallon suspendu, sur les pentes abruptes tapies de jungle, elles embrassent le gouffre

et la pierre me respire

 

on n'a jamais quitté cette terre

JOUR 1, Sagada - Philippines