Nathalie Faye

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KINTSUGI

Briser

Choisir

De reconstruire

Avec un fil d'or

I

 

Ne pouvoir dire une fois, une seule.

 

Le lente respiration.

 

Et face à l'arbre unique près du pigeonnier, dans le champ d'hiver des lavandes, la présence du temps, toute entière, toute ferme et dure, comme ces poignées de mains de ceux qui, taiseux, engagent au-delà de leurs mots,

 

ne pouvoir dire cette masse qui envahit l'être et le plie à la courbure du champ et de l'arbre et de l'absence de mots justement, sur l'horizon blanc. 

 

Être juste témoin glébeux, en décembre, de ce qui s'effiloche depuis toujours et, par grâce, aujourd'hui devant moi.

II

 

Issarlès.

 

Neige lourde. Les loups manquent. Les mots s'agglutinent dans la bouche, à lutter contre le froid qui mange la chair nue du cou.

 

Œuvre au blanc. 

 

Il suffirait de se dire que tout est totalement dit ci. Que l'hermétisme de l'air et la mousse sous les pas absorbent le peu d'imprécis du futur.

 

Le flocon résume dans le silence.


III

 

La brume s'épaissit avec une lenteur sereine au sein des restanques de Mayres. Les terrasses des vieux hommes renaissent, nettes, de plus en plus évidentes à chaque nouveau pan de montagne du défilé, dans la lumière opaque de mars et sous les traits de pinceaux de la neige. Noir et blanc.

 

Nous pensons être d'un autre temps, rapidité, écran, lumière bleue. mais une main minérale, sans méchanceté, fermement, nous fait courber la nuque. Que cela soit vrai ou pas, nous reviendrons finir ici. 

 

 

IV

 

Avec quelle lenteur la souffrance, jour après jour, instant après instant, a creusé ce destin de corne puis de chair, jusqu'à la mort : combien avant que l'invraisemblable volute de la corne pénètre la chair, la fende, au-dessus de l’œil ? Devant cette énigme, devant ce reste minéral et très pur enchâssé sous les buis, aux feuilles desquels s'accroche une laine drue et douce, je ne peux faire ce que je souhaite, je ne peux emporter avec moi, contre moi, cette tête dont le regard doré me hante. 

v

 

Paix à mes os que je casse. 

 

Paix à mes muscles qui fléchissent dans l'inaction. 

 

Paix à mes tendons qui se rompent dans l'angoisse et la crispation répétitives.

 

Paix, mon corps.

 

Repassons l'entente des jours de sable, d'eau dure et de vent méchant. Renouons le pacte où nous étions seuls, puissants et à genoux devant les bêtes mortes du chemin. Paix, de force et de temps usé mêlée, aujourd'hui c'est moi qui vient vers toi en quémandeur.